Le caquet des femmes

par M. C. Janequin, Lyon, Jacques Moderne, vers 1545


Estant oysif quelque journée,

Que dames feirent assemblée

Je m'approchay et me mussay

Pres d'elles vis à vis,

Pour ouyr leur devis.

De fort bien caqueter ouy merveilles

Je vous en diray

Ouvrés vos oreilles.

Perrette viendras-tu vieille vesse

Ma maistresse

Viens ça ma robe est elle nette,

Et de mon chaperon la cornette!

J'ay la chemise perfumée,

Et votre cotte descrotée.

Mais qu'as tu plus faict, courte fesse?

Le chapperon est mis en presse.

La la apres m'amye.

J'ay si tres grand'envie de dire un mot,

Plus je ne le sçaurois celer.

Ma commere, m'amye, gardés vous bien

[de reveler ce que sçavés

Pourquoy non, si fera vrayement qui m'en

[gardera,

On le sçait bien, elle le peult bien dire.

Ha je le diray car ce n'est que pour rire.

Or dites la gente bourgeoise

Ces jours passés une galloise

Prioit son grand jenin dando

Je croy qu'il en valoit bien vingt.

Il ne demandoit que dodo.

Or dittes nous qu'il en advint.

La jeune dame son conte faisant

De trois mots l'un, c'estoit en soupirant;

Son cueur estoit il si doulent

Or fut enquise qu'il avoit au corps

Elle estoit bien faschée

La jeune mariée

Et que respond elle

O povre fumelle

En plaurant respond qu'elle n'estoit

D'en avoir eu quelque liqueur, [records,

Ho le meschant! quel crevecueur

A ceste bonne dame!

D'avoir un corps sans ame.

Baillés, luy du clou de girofle.

Avancés vous le cueur lui faut,

Je vous jure par Saint Christofle,

Quand du mari vient le deffaut,

C'est un grand mal qui est bien laid.

Sus sus, dames, sus a ce plaid

Une sage femme y estoit,

Qui tous ces propos escoutoit,

Chascune son mari louoit,

Et sur ce point l'une disoit:

Ma foy, j'ai un mari galland,

A deux bras il me prend, et me couche, et

me jette, et me met sur un lict branslant

Puis me dict de la la m'amye,

Je fais les dents à mon vilain claquer

S'il devoit tout vif enrager,

Le vilain n'oscroit bouger

Quand je le tiens, il n'oseroit grongner

Voire, deust-il perdre la vie.

Avec le mien je ne m'ennuye,

A le baiser prens mon deduit toute la nuit.

Le mien me serre, baise

Et moy je suis tant aise,

Quand bien fort il m'accole,

Voila tres bonne escolle

Dit la saige sus ce passage,

Elle en parle comme tres saige,

De bien aymer l'affection,

A eu en recordation,

Tout le temps de sa vie.

Je meurs ma s?ur m'amye,

Ha quel mal j'endure,

C'est quelque froidure

Qu'elle a pris a son gésir.

Helas, je m'en vois mourir,

Las vueillés moy secourir,

Il luy faudroit pour sa douleur oster

Estre aupres d'elle et la réconforter,

Duand aura eu plaisir de son mary,

Son povre cueur plus n'en sera marry,

Et n'en fera que mine,

Il luy faut pour allegement

Avoir d'amour contentement

C'est douce médecine.

La ferme amour de la femme et de

[l'homme

Assoupit toute douleur et consomme,

O très doux bien tant douce chose

Quand ferme amour au cueur enclose,

Est entre amans, ô qu'elle joye!

Parlés plus bas qu'on ne vous oye.
J'en parleray c'est mon office,

Car c'est la chose plus propice

Que je désire tant.

Si j'ay parlé, ou caqueté

Du caquet que je veux caqueter,

Faut-il qu'on en tienne caquet

Trop caquetés et si criés haut comme une

[trompette

Et en eust parlé Trupette?

La,la langue friette.

Badin, badault, badine,

Finette, fine mine,

Baveuse qui bavarde,

Langue qui chascun larde,

Lourde faulse vilaine,

Tant que j'auray haleine

Je chanteray, je parleray

Et le tout par despit de vous

Ce n'est pas parlé à propos.
Appoinctement fy de couroux

C'est trop presché sur la besongne,

Allés tancer en autre lieu.

Qui voudra gronger si en grongne,

Je jourray, jourray a beau jeu

Vous jourres jourrés le naturel jeu.

Femmes sont faites pour tancer et braire.

Il vous fait taiser,

Et tost rapaiser,

Non pas ainsi crier et braire.

Par le benoist Dieu je suis d'aussi

[grand bien que vous,

Vous ne me ferés taire

Laissés moy, meslés vous de votre affaire.

Mais je les feray bien taire

La la la c'est tousjours à refaire.

Or je les vois bien tost faire taire.

Je vous conjure par Vénus,

Dont souhaits d'amour sont venus,

Que vous taisés si vous povés

Mettés nous donc en un lieu reclus,

Et de langues soyons perdus,

Lors conjurés si vous povés,

Vous avez beau crier, et braire,

Quelque part que je soye,

Joyeuse seray et caquetteray

Affin que plus on ne vous oye

Chascune de vous devienne oye,

Vole vole Dieu qui vous convoye

Oye, oye, oye, ?

Jart, jart, jart, ?

Apart, apart, apart, ?

Va, va, va, ?

Vole, vole, vole, ?

Perrette, Perrette, Perrette,

En voyage à Saincte caquette,

Voyés vous point ceste tempeste,

De la mer va son sablat tenir,

Mais quelque fois la verrés revenir.


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